PREJUGES ET REALITES D’UNE MALFORMATION
Dans les croyances populaires, les enfants nés avec la pathologie dénommée « bec de lièvre » sont « des éléments du diable». Du coup, ils sont « maudits » par la société.
Certains utilisent même la stratégie de l’humiliation pour obtenir leur « départ ». Mais, tout cela, selon des spécialistes de la chirurgie plastique, n’est que mythe. La fente est une malformation qui se soigne et se guérit.
Vêtu presque de haillons, Kodé Bâ est tout souriant ce matin. D’ailleurs, « ce sourire ne l’a pas quitté depuis quelques jours », raille Rose, une infirmière en service à l’hôpital Barthimée de Thiès. Cette quadragénaire d’ethnie peulh originaire de la commune de Richard Toll, dans le Nord du Sénégal, a vu se réaliser quelque chose qu’il croyait jusque-là impossible. En effet, sa deuxième épouse, Marième Sow, porteuse d’une fente labio-palatine, communément appelée « bec de lièvre », s’est départie de cette « « malédiction » à laquelle tout son village la croyait pourtant condamnée. Grâce au parrainage d’Amref Heath Africa et à une collaboration entre l’hôpital Barthimée de Thiès et l’hôpital Aristide Le Dantec, Kodé pourra, dans quelques mois, admirer le sourire radieux de sa douce moitié. Mais, cela n’a pas été un long fleuve tranquille. Quand il a voulu épouser cette jeune dame frappée d’anathème et âgée aujourd’hui de 25 ans, tout le village se moquait de lui. « Mes parents me l’avaient interdit. Sa famille l’avait marginalisée. Tout le monde me demandait ce que j’allais faire de cette femme pas comme les autres. Mais moi j’ai toujours vu en elle, l’image d’une femme tout court. Elle était capable de faire tous les travaux que les autres femmes faisaient. Je n’ai jamais vu de différence. Aujourd’hui, avec le soutien d’Amref, tout est fini. Elle sera désormais comme on aime la voir », raconte l’homme, toujours le sourire au coin des lèvres. Ce témoignage de Kodé Bâ est assez révélateur du drame social que constitue cette malformation.
«Dans mon village, les gens me fuyaient»
Dieynaba Sow, une habitante de Diass, ne dira pas le contraire. « De tout le village, j’étais la seule à avoir un enfant comme ça. Beaucoup de gens me fuyaient, d’autres me lançaient des quolibets parce que j’avais mis au monde un enfant pas comme les autres. Mais, j’ai cru en Dieu. Pour mon fils, sa malformation ne le gêne guère. Il va à l’école. Il joue avec ses camarades au football, etc. Seulement, je sais que si je ne le soigne pas maintenant, une fois grand et qu’il constate la différence avec ses frères, il dira que ma mère m’avait négligé. C’est pourquoi j’ai usé de tous les moyens possibles pour qu’il puisse guérir un jour », renchérit cette femme originaire de Ourosogui, dans le Fouta. Dieynaba est donc très contente d’avoir réussi la prouesse de faire rétablir le physique de son fils. « Je rends grâce à Dieu. Par le passé, j’ai fait le tour des structures de santé pour le soigner , mais rien n’a été fait. C’est M. Sène, le major de Diass, qui m’a mis en rapport avec Amref. Aujourd’hui, Dieu merci, mon fils a pu se faire soigner », se satisfait-elle. Nourou Sall a, à peu près, vécu la même situation que Dieynaba Sow. A Dakar, il a connu toutes les difficultés du monde à soigner son enfant. Il a presque fait le tour des hôpitaux pour rendre à sa progéniture le sourire. Mais, sa déception ne faisait que s’agrandir. « J’ai couru derrière une intervention chirurgicale pendant un an dans une structure sanitaire de la capitale avec payements de frais d’analyse et autres. Et à la fin, rien…
Dans une autre structure, j’ai patienté pendant 9 mois. Mais, c’est celle-là qui m’a transféré ici. Mon fils a pu se faire opérer et tout s’est bien passé. Dans cet hôpital, ce qui m’a d’abord frappé, c’est la qualité de l’accueil », témoigne-t-il. Avec cette malformation, son fils de 2 ans et 4 mois n’arrivait même pas à téter. Le lait qu’il suçait sortait directement de ses narines. « L’enfant qui a une fente palatine ne peut pas téter correctement. Pour sucer normalement, il faut que la bouche et le palais soient fermés. Ce sont donc des enfants qui sont souvent malnutris », précise le Pr Anne-Aurore Sankalé, chef du Service de chirurgie plastique et esthétique à l’hôpital Aristide Le Dantec.
Un drame social
Pour Nourou Sall, avoir un enfant qui a cette malformation est un gros problème pour les familles. « Aujourd’hui, je ne peux même pas exprimer la joie que je ressens. Je dis un grand merci à Amref », s’émeut-il. Le Pr Sankalé, qui vient régulièrement à Thiès depuis 10 ans pour opérer ces cas, n’ignore rien des conséquences socioculturelles néfastes qu’engendre cette pathologie. « Ce sont des enfants qui sont rejetés dans les villages. En général, on rejette tout sur la maman en disant que c’est elle qui a la malédiction. Ce qui n’est pas le cas. C’est simplement un hasard de la vie. Ce sont des enfants exclus de la société, cachés dans les maisons. Parfois, ils sont même sacrifiés. On les dépose, par exemple, dans les forêts en disant que les esprits vont venir les reprendre. Si vous laissez un bébé dans une forêt pendant trois jours, vous êtes sûrs qu’il va mourir. Mais, il y a cette connotation mystique qui fait malheureusement partie de nos réalités culturelles. C’est à nous, techniciens, et aux médias d’informer les populations. Nous utilisons d’ailleurs beaucoup les radios locales pour essayer de sensibiliser les gens, leur dire que ce n’est pas une fatalité et que ça s’opère sans souci », raconte-t-elle. Oumou Diallo, relais communautaire venue de Tamba et travaillant souvent avec Amref, corrobore les propos d’AnneAurore. « Au début, c’était difficile de les convaincre parce que dans certaines zones, les gens n’ont jamais su que cette maladie pouvait être soignée. Comme on nait avec, ils pensent que l’enfant ne pourra jamais être comme ses semblables. Il est condamné », souligne-t-elle.
Une trentaine de patients opérés avec succès
Dans le souci d’apporter une réponse adaptée aux besoins spécifiques des personnes vivant avec une fente labio-palatine, Amref Health Africa, en partenariat avec Smile Train, le ministère de la Santé et de l’Action sociale et l’hôpital Aristide Le Dantec, a organisé, du 18 au 22 mars 2019, un camp de traitement gratuit à l’hôpital Barthimée de Thiès
L’opération a connu une réussite. La preuve, 32 malades sur les 39 cas reçus ont été opérés avec succès. La tranche d’âge est de 3 mois à 30 ans. « Depuis 10 ans, nous nous sommes investis dans la prise en charge de cette malformation qu’on appelle « bec de lièvre ». En tant qu’hôpital, nous avons travaillé avec plusieurs partenaires pour répondre à ce besoin de réparer les porteurs de la fente labio-palatine », explique le Dr Adamson Phiri, anesthésiste-réanimateur et médecin-chef de l’hôpital Barthimée de Thiès, une structure sanitaire confessionnelle parrainée par la fraternité évangélique du Sénégal. Selon lui, cette malformation peut affecter tout simplement la lèvre, parfois le palais, ou les deux à la fois. « Dans ce dernier cas, on opère en même temps le palais et la lèvre. Opérer un palais prend beaucoup plus de temps qu’opérer la lèvre. Tout commence d’abord par la sensibilisation des populations, ensuite le recrutement des cas qui a été fait par Amref.
Pour ce camp, 50 patients ont été présentés à l’hôpital pour triage et des consultations pré-anesthésiques. Par la suite, nous avons arrêté cette liste d’une trentaine de personnes. Et là, nous avons fait la programmation pour chirurgie des patients aptes », souligne Dr Phiri. A l’en croire, une vingtaine de personnes ont été engagées dans cet exercice. « Après l’opération, mon équipe reste souvent derrière pour le suivi des patients afin de voir si la plaie est propre, si la cicatrisation est correcte, etc. Le suivi peut aller jusqu’à 3 mois », laisse-t-il entendre.
Pour le Pr AnneAurore Sankalé, les interventions se sont très bien passées. « Cela fait 10 ans ou plus que nous venons à Thiès de façon régulière. Nous opérons en moyenne 100 enfants par an. Donc, il y a pratiquement 1000 enfants qui sont opérés dans cet hôpital. Et c’est entièrement gratuit pour les parents qui ne paient ni l’hospitalisation, ni le bilan, ni la chirurgie encore moins la nourriture. C’est vraiment des missions humanitaires et les gens viennent de partout au Sénégal et même parfois de la sous-région pour se faire opérer », mentionne le chef du Service de chirurgie plastique et esthétique de l’hôpital Le Dantec. Selon elle, les fentes sont une pathologie courante au Sénégal. « Nous n’avons pas les chiffres exacts, mais nous savons que le nombre est sous-évalué parce qu’on se retrouve à opérer des adultes. Cela veut dire qu’il y a des gens au fin fond du Sénégal porteurs de la pathologie et qui ne savent même pas qu’elle s’opère », argue-t-elle.
Pour sa part, Dr Bara Ndiaye, directeur d’Amref pour l’ Afrique de l’Ouest, note que cette initiative rentre dans leur stratégie consistant à déployer des moyens humains, logistiques et financiers pour arriver à bout des problèmes de santé des populations. « Nous avons compris qu’avec cette pathologie, il était important de prendre des initiatives vu qu’il manque de spécialistes qui la prennent en charge. Aussi, peu d’Ong mobilisent des ressources pour appuyer sa prise en charge. Pour nous, c’était une pathologie marginalisée, négligée. C’est pourquoi nous l’avons pris en charge pour le bien des enfants et des parents », explique-t-il. M. Ndiaye révèle que « le coût est de 450 dollars (environ 260 000 FCfa) par malade opéré »