Gaston Leroux a cinquante-cinq ans, une maîtrise du roman de genre et un art consommé du récit, lorsqu'il commence l'écriture de La poupée sanglante et de la seconde partie La machine à assassiner. Il a aussi, derrière lui, quelques chefs-d'œuvre et nombre de romans de très bon niveau. L'histoire parait en feuilleton dans Le Matin, du 1er juillet au 19 septembre 1923. L'année suivante, il sera publié en deux volumes par Tallandier.
Dans la première partie, l'auteur met en scène un automate (Gabriel) construit par Norbert, l'horloger, avec l'aide de sa fille Christine et de Jacques son neveu. Bénédict Masson, un être disgracieux, relieur d'art de son état est leur voisin. Ce dernier est accusé d'avoir tué de nombreuses femmes et d'avoir brûlé les corps dans son poêle. Il est condamné, guillotiné, bien qu'il clame son innocence jusqu'au bout ! (Gaston Leroux s'inspire sans aucun doute de l'actualité car Landru a été exécuté le 25 février 1922 et n'a jamais reconnu les crimes dont on l'a accusé)
La machine à assassiner débute dans l'île Saint-Louis où trois résidents du quartier se sont réunis pour partager la camomille. Leur dégustation est interrompue par l'irruption de Gabriel portant Christine ensanglantée et inconsciente. Il les menace, tente de soigner la jeune femme, puis reprend la fuite, avec sa victime dans les bras. On apprend que Jacques a greffé, sur l'automate, le cerveau de Bénédict récupéré le matin de l'exécution. Il s'ensuit une course poursuite à travers Paris et sa région, jusqu'aux Alpes, avant que Jacques ne puisse rejoindre sa création et tenter de mettre fin à ce qui semble un parcours sanglant.
Entre-temps, mille péripéties et mille dangers auront surgis devant les héros. Comment arrêter une machine aussi puissante que Gabriel, animée par la volonté de se venger de tous ceux qui lui ont fait du mal.
Avec La machine à assassiner, Gaston Leroux mêle roman d'aventures, de prospective (le terme de SF ne devait pas encore exister), de fantastique. Il inclut également, dans le contenu dramatique, une comédie de mœurs, faisant la description de diverses couches sociales et une comédie (tout court) pratiquant l'humour, au premier et second degré, voire l'impertinence avec entrain. Il brocarde joyeusement aussi bien les gens de conditions modestes dans leurs travers, que les pratiques policières, les attitudes obtuses des scientifiques... Il se moque, preuve que cette race sévissait déjà en 1923, de ceux qui vivent du « Charity Business » : « C'était un brave homme qui n'avait qu'une passion, faire le bien avec l'argent des autres. »
Cependant, il dresse des portraits d'une grande sensibilité, d'une justesse et d'une précision marquantes dans l'approche psychologique de ses personnages.
La machine à assassiner est l'occasion de retrouver un grand auteur, dont il serait souhaitable de réhabiliter l'œuvre. Ce mouvement est-il en marche ? L'initiative heureuse des Éditions de l'aube, l'adaptation récente de Cheri-Bibi en BD peuvent le laisser espérer.